Interview Moussa Abou-Ramadan (Pr. de droit musulman et d'islamologie)

Dans le cadre de l'Institut d'islamologie de l'université de Strasbourg

Moussa Abou Ramadan 
Professeur de droit musulman et d'islamologie à l'Université de Strasbourg / UMR DRES (droit, religion, entreprise et société)

Spécialités :

• fiqh (doctrine juridique)
• Usul al-fiqh (théorie du droit)
• Droit contemporain des pays arabes
   

1. Quel a été le sujet de votre thèse  et comment votre parcours de recherche a évolué depuis ses débuts ?

Je m'appelle Moussa Abou Ramadan, je suis professeur de droit musulman et d'islamologie à l'université de Strasbourg. À la base, je suis juriste, toutes mes études ont été consacrées au droit et mes enseignements à la Faculté de droit.

Mon sujet de thèse portait sur les minorités et le droit international, où j'ai examiné les minorités religieuses musulmanes et chrétiennes. Dans ma thèse, je me suis posé une question : la charia est-elle compatible avec les droits de l'homme ? J'ai traité un aspect de cette question dans une section que j’ai développé par la suite. Mon objectif était de savoir s'il existe vraiment une compatibilité entre la charia et les droits de l'homme. [...] J'ai réalisé que c'est un domaine vaste. La charia couvre douze, treize ou quatorze siècles d'histoire, selon la période considérée.

C'est à partir de la question des droits de l'homme que j'ai commencé à m'intéresser au droit musulman.

2. Quels sont les principaux champs d'études et de recherches auxquels vous vous consacrez ?

Mes champs d’études et de recherches sont axées sur le droit musulman.

• Tout d’abord, le fiqh, la doctrine juridique ancienne des quatre écoles sunnites, couvrant la période du 10^ème au 19^ème siècle. Dans ce champ, j’étudie divers domaines de recherche tels que les matières rituelles, les transactions, les mariages ainsi que les questions de paix et de guerre.
   
• Ensuite, la matière théorique connue sous le nom usul al-fiqh (théorie du droit) où mes recherches se concentrent sur tout le développement à partir du 14^ème siècle jusqu’au 19^ème siècle. Je pense que le 14^ème siècle a été un tournant majeur, marqué par un auteur important le juriste Al-Subki qui a canonisé le sujet, le cadre et les questions théoriques. Bien que des développements aient eu lieu ici et là dans le monde musulman, le cadre théorique a été fixé par le juriste Al-Subki et cela jusqu'au 19^ème siècle.
   
• Enfin, le troisième champ auquel je m’intéresse est le droit musulman positif, c'est-à-dire le droit musulman appliqué dans les différents États. J’examine les interactions entre la doctrine musulmane (Fiqh) et les systèmes juridiques positifs. Comment l'État influence le contenu du droit musulman ?

3. Quelles méthodologies employez-vous pour l'étude d'un thème spécifique ?

Lorsque j'aborde un thème comme par exemple la famille, il est pertinent d'étudier toutes les théories de genre. [...] J'observe l'évolution des rapports entre hommes et femmes et comment ces rapports sont construits.

On constate que les fuqahas (juristes musulmans) ont une certaine conception de ce qu'est un homme, ce qu'est une femme et comment ces relations sont construites, déconstruites et reconstruites. Ces relations ne sont pas stables contrairement à ce que l'on pourrait penser. Il peut y avoir des changements dans la pensée sur cette question et ces changements n'ont pas de cadre fixe en termes de dates. Certains changements se sont produits au 13^ème siècle, d'autres au 19^ème siècle. C'est pourquoi il s'agit d'un travail très long qui comprend près de 11^ème siècles.

4. Quels sont, selon vous, les principaux chantiers dans le domaine du droit musulman et des fondements du droit au niveau international ?

Les grands chantiers auxquels je me suis adapté sont internationaux. Les trois domaines qui occupent mes recherches sont des domaines où il y a des recherches au niveau international. Il est vrai que certains domaines sont plus avancés que d'autres. Par exemple, le droit contemporain. Il y a aussi l'anthropologie juridique qui a récemment suscité de l'intérêt. Dans ce domaine, des chercheurs examinent des tribunaux spécifiques, que ce soit en Malaisie, en Israël ou à Zanzibar. Ils analysent les tribunaux de charia en utilisant une méthode appelée observation participante. Ce champ est en train de se développer.

Dans le cadre de usul al-fiqh, par exemple, il y a très peu de travaux. C'est pour cette raison qu'à Strasbourg, nous essayons de développer ce champ. J'organise des journées d'études sur l'interaction entre usul al-fiqh, fiqh et kalam. Il y a très peu de travaux qui examinent ces interactions et très peu de travaux sur usul al-fiqh en général.

Un autre domaine important est l'application de la charia dans les systèmes juridiques contemporains. Dans certains pays arabes, notamment dans le domaine de la constitution ou le droit de la famille, la charia est mentionnée. Ce champ mérite également une attention particulière.

Il existe une revue spécialisée appelée Islamic Law and Society. Les trois branches que je viens de mentionner s’y trouvent, et les publications correspondantes s'y trouvent également. Bien sûr, il existe aussi des publications dans d'autres revues moins spécialisées qui traitent de l'islam ou de l'islamologie. Islamic Law and Society est la revue académique la plus spécialisée dans le champ du droit musulman, en particulier dans les domaines du fiqh, usul al-fiqh et du droit positif contemporain.